Récit de mon accouchement, IMG
Il est 7h du matin, le réveil sonne. C’est le jour J, l’accouchement est prévu pour aujourd’hui. Je suis tellement malheureuse, je n’ai pas les mots et le me laisse guider jusqu’au taxi par mon chéri qui m’accompagne. Depuis des jours, des semaines, les larmes coulent sur mes joues sans cesse. Comment est-ce possible ? Le jour comme la nuit. J’ai le cœur en miettes. Notre petite fille est encore au creux de mon ventre pour quelques dernières heures, je profite de nos échanges, ses petits coups qui me rendraient si heureuse jusque là. Qui m’ont aussi fait douter, est-ce qu’elle essaie de me faire passer un message ? Après tout, les médecins ont peut-être faits une erreur de diagnostic ? Ces pensées me traversent l’esprit sans cesse…
Je vais tenter de retracer ces derniers mois difficiles, mes premiers trimestres de grossesse que j’ai vécus comme un conflit permanent…
Le 4 septembre, nous avions rdv à l’hôpital à Paris pour faire une amniocentèse car mon test à la trisomie était revenu à 1/42 pendant l’été… seulement, à ce moment là, j’étais hospitalisée à Ajaccio pour un décollement et des saignements intensifs alors que je rentrais dans mon 4e mois. Nous venions d’arriver en Corse pour passer l’été en famille quand tout cela est arrivé. J’ai cru un instant perdre mon bébé, j’étais effondrée. Allongée en larmes au milieu du salon. En arrivant à l’hôpital à Ajaccio, à l’écho de contrôle, son petit cœur battait toujours en moi 🙏🏼 J’avais profité d’être hospitalisée en maternité pour demander à faire la DPNI pour patienter jusqu’à mon retour à Paris et faire l’amniocentèse. Après 2 jours d’hospitalisation, je pouvais rentrer auprès de ma fille de 8 mois et mon conjoint. La fameuse prise de sang DPNI revient négative à toutes les trisomies les plus importantes, elle est fiable à 99,8%. J’étais heureuse et soulagée. Je me souviens avoir pleuré de soulagement et de joie quand le médecin m’a annoncé les résultats, en allant à la plage. J’ai passé mon été à perdre du sang, à faire une écho chaque semaine pour voir si l’hématome se résorbait, allongée un maximum, peu de plage, pas de baignade, pas de voiture, peu de marche pour mettre toutes les chances de notre côté et que ma petite fille s’accroche bien. Petit à petit tout rentrait dans l’ordre, au fil des échos, l’hématome disparaissait et elle était en pleine forme. La fin des vacances approchait, j’étais dans mon 5e mois et je n’avais qu’une chose en tête : rentrer à Paris pour en finir avec tous ces examens inquiétants et faire l’amniocentèse.
Arrive le 4 septembre, cette fameuse journée que je redoutais beaucoup mais l’amniocentèse qui fait si peur dans la société, se passe bien. Je n’ai pratiquement pas eu mal et mon conjoint était à mes côtés. Contrairement à ce que j’imaginais, je pouvais être accompagnée. L’examen s’est très bien passé. Je n’ai pratiquement pas eu mal, j’ai senti l’aiguille transpercer mon utérus avec une petite contraction mais ce n’est rien à côté de l’inquiétude qui me hante depuis des mois… Après quelques minutes, nous n’avions plus qu’à attendre les résultats et moi je dois lever le pied et éviter de faire quoi que ce soit pendant 48h.
Deux jours plus tard, l’hôpital m’informe que les premiers résultats sont négatifs. Quel bonheur de me dire qu’elle va bien. Pas de trisomie détectée. Je suis soulagée… mais pour combien de temps ? Par sécurité, on avait demandé à ce que les recherches soient poussées sur le point génétique, les maladies héréditaires, anomalies chromosomiques… Je me souviens parfaitement de ce rendez-vous avec le medecin qui m’avait expliqué que c’était extrêmement rare que ces recherches reviennent positives. Les jours passent et je décide quand même de faire une petite échographie pour contrôler si tu vas bien, depuis l’amnio, entendre son petit coeur. La sage-femme commence l’examen, mais j’ai fait tellement d’échographies durant mes grossesses que je sens bien qu’elle met plus de temps que d’habitude et surtout qu’elle insiste sur son petit cœur (qui bat). J’ose prononcer ces mots : « Tout va bien ? ». Il y a un blanc, je croise son regard sérieux et elle finit par m’e dire qu’elle a un doute sur 2 malformations cardiaques qui sont peut-être bénignes à 19 SA +6j. L’écho T2 étant prévu normalement à partir de 21SA. Elle décide de me renvoyer à l’hôpital où je suis suivie pour confirmer ou non son diagnostic.
Le lendemain, je suis alors convoquée en « urgence » par un gynécologue obtetrique référent à Port-Royal… Le doute est à nouveau confirmé et je suis cette fois-ci redirigée vers un cardiologue pédiatrique qui me reçoit quelques jours suivants, en urgence… L’attente est interminable mais je garde bon espoir, je crois en nous, je sais qu’elle s’est accrochée jusque là, je la sens bouger, semblant communiquer avec moi. Après 1 heure d’échographie sur 2 machines différentes et aucun mot prononcé… le docteur pose le diagnostic final : une CIV et une coarctation de l’aorte, un côté est plus gros que l’autre, plus que la normale. Il nous explique qu’on pourra l’opérer à la naissance mais que les malformations sont sévères pour 21 SA. Ce type d’anomalie se constate habituellement beaucoup plus tard et moins prononcé.
Port Royal, mon hôpital référent me rappelle ensuite pour me demander d’avancer le rdv que nous avions initialement prévu la semaine suivante, j’ai un mauvais pressentiment. Mes amies, ma famille me disent que je m’inquiète pour rien… Tous ces rendez-vous qui s’enchaînent, planifiés aussi rapidement alors qu’ils demandent habituellement des mois d’attente… je suis inquiète.
Nous sommes le 19 septembre, 9h40. J’aurais dû y aller seule car mon chéri travaillait mais la veille au soir, il décide de m’accompagner… En arrivant dans le bureau, je me retrouve non pas face à mon médecin référent mais face à 4 professionnels avec l’air grave. Ils commencent par nous parler du problème cardiaque de notre fille, savoir si nous avions compris ce que le cardiologue avait révélé, ce qu’il était possible de faire, l’opération, l’évolution, le suivi à vie, les risques… Bizarrement, je suis soulagée de savoir qu’il y a des solutions à la naissance même si c’est assez important comme intervention. Et puis, un homme que je n’ai jamais vu, intervient et tout bascule. Cette sensation qu’on m’arrache la vie, le cœur, ma fille en une fraction de seconde lorsqu’il a prononcé ces mots « Bon, je suis le professeur Dupont, si je suis là aujourd’hui, c’est parce que nous avons décelé une anomalie chromosomique sévère chez votre bébé » puis un blanc. Le monde s’écroule. Je m’effondre, je suis assommée, dans ma bulle, j’entends désormais leur voix mais je suis éteinte. Mon cerveau semble avoir arrêté de fonctionner. Je suis incapable de bouger ou de décrocher un mot. Je sens seulement la main de mon chéri, serrer ma cuisse comme pour me dire « je suis là » et je sens son inquiétude quand je croise son regard, ses yeux remplis de larmes. Il arrive à parler mais je suis incapable de comprendre quoi que ce soit, j’entends des mots, des voix. J’essaye de me réveiller de ce cauchemar. C’est le pire jour de ma vie, rien qu’en y repensant, les larmes perlent sur mes joues. Lorsque je reprends mes esprit, je demande au professeur de me ré-expliquer ce qu’entraine l’anomalie chromosomique, quels sont les risques pour notre petite fille. La liste est tellement longue, les symptômes tellement graves. Pourquoi nous ? On doit prendre la pire décision du monde, celle que je n’aurais jamais pensé avoir à prendre. Je ne souhaite cela à personne d’autre. Tout perdre comme ça en quelques secondes, sans ne rien pouvoir y faire. Et puis on rentre tous les 3 à la maison, pour réfléchir à ce qu’on vient d’apprendre. Ma fille me donne des coups, encore plus forts, plus réguliers, je ne m’arrête plus de pleurer, jusqu’à ce que j’aille cherche ma petite Esmée à la crèche. Devant elle, je souris parce qu’elle me rend heureuse et me redonne vie. Son doux visage, son sourire, son insouciance. Elle suffit à me donner suffisamment de force pour rester debout. Et puis, dès qu’elle n’est plus auprès de moi, je replonge dans ma souffrance, mon chagrin, ma solitude. Les jours passent, notre décision est prise, sans avoir le choix en fait. C’est ce qui est le plus douloureux. On sait que notre fille est malade et qu’elle développera sans doute des troubles sévères du comportement, retards scolaires importants, difficultés de langage, épilepsie, autisme sévère… la liste est interminable si bien que je n’ai pas voulu lire le document. 34 cas recensés en France et ça nous est tombé dessus. Je m’en veux, je culpabilise, je suis en colère contre moi, contre la vie. Pourquoi moi ? Pourquoi toi ? Pourquoi nous mon bébé ? J’ai beaucoup de mal à accepter, je laisse planer le doute, j’ai envie d’annuler l’IMG. Et si elle allait bien ? Peut-être qu’elle peut vivre comme ça ?
Nous sommes le 2 octobre, l’accouchement est prévu aujourd’hui. Je suis en salle d’accouchement dès mon arrivée à 8h. C’est pratiquement la même que celle dans laquelle j’ai accouché de mon Esmée 10 mois plus tôt mais je réalise très vite qu’il manque le petit berceau, la couveuse pour accueillir mon bébé. Je suis tellement triste. Je suis inconsolable malgré la gentillesse du personnel médical. Je me laisse porter. Je ne pense qu’à une chose : Esmée. Ma force que je retrouverai le lendemain.
A 11:00, la gynéco référence qui m’a suivie vient procéder à cette put** de piqûre, la pire de ma vie, dans mon ventre. Je ne vois rien, je ne sens rien, le silence complet, j’attends en sanglots qu’on m’annonce le plus douloureux : » C’est fait, son petit coeur a cessé de battre, elle n’a pas souffert, ne vous inquiétez pas ». Mon dieu, comme c’est dur d’entendre ça, ton petit cœur s’est arrêté doucement et sans souffrance ma fille. On me déclenche à partir de 12h avec un médicament dans le col toutes les 2 heures, l’infirmière et la sage femme reviennent souvent pour me parler, me consoler, me soulager. Je suis sous péridurale, je ne sens rien, sauf mon cœur qui saigne. Je reste muette un long moment, traumatisée par ce que je vis, ce que je te fais vivre pour alléger tes souffrances futures ma fille. Les heures passent et je ne ressens toujours rien sauf le manque de tes petits coups mon cœur. Tu es encore là et pourtant je me sens vide vide et seule. J’ai du mal à écrire parce que j’arrive pas à calmer mes larmes et mes yeux n’arrivent plus à lire les lignes qui se dessinent sur l’écran. Chaque fois que j’ai repris l’écriture de ce récit, je fonds en larmes à la lecture de cet acte.
Comment on fait après tout ça ? Comment je vais réussir à vivre sans toi ?
Je suis désolée mon amour de nous faire passer par cette terrible épreuve. Les contractions commencent à se faire ressentir, douces, mais je comprends que tu vas bientôt me quitter, quitter mon ventre que tu habitais depuis 6 mois. Il est 17h30. La sage-femme contrôle mon col qui est ouvert , elle sent ta tête mais nous devons encore patienter. Encore quelques minutes mon amour. Les médecins viennent contrôler ta position car tu es dans une mauvaise position, ton dos se présente en premier. On doit me faire une nouvelle échographie pour savoir si ça peut passer comme ça. J’ai peur. La seule chose à laquelle je pense, c’est de ne pas abîmer ton petit corps si fragile.
A 19h06, je pousse une seule fois et tu sors sans douleur, moi pour toi, ni pour moi. J’aurais préféré te sentir me quitter. Je ne vois rien, je ne sens rien. Je suis vide. La sage-femme part avec toi et je ne vois que ce drap bleu dans lequel tu es enroulée. Comme tu me manques mon bébé.
J’ai décidé de te voir, te serrer contre moi, te regarder. C’est dur et en même temps si beau. Je n’aurais pas pu te laisser partir sans poser mes yeux sur ton petit visage. Tu es belle ma fille, tu es au chaud avec ton petit tricot bleu et ton bonnet blanc avec une petite fleur rose sur le devant. Je trouve que ton petit nez et ta bouche ressemblent au mien. Tes petits yeux fermés me brisent le cœur. Je te garde auprès de moi avant de te laisser partir pour de vrai. Papa t’a rencontré aussi, je ne l’ai pas forcé, il a changé d’avis quelques minutes avant notre rencontre et à décidé de rester avec nous pendant ce moment unique.
J’aurais tout donné pour que tu puisses vivre en bonne santé. La vie est parfois difficile et on doit se contenter de composer avec ce qu’elle nous offre. Le beau comme le plus difficile. On m’a répété, que je sortirai plus forte de cette épreuve mais je n’y vois que de la souffrance, de la colère, de la tristesse. Nous sommes retournés te voir dans ce petit couffin blanc et froid pour te dire un dernier au revoir. J’ai eu mal de te revoir, je savais que ce serait dur. Mon corps te réclame, j’ai l’impression que tu bouges encore en moi. Que tu es encore là et puis quand je me réveille le matin je pleure parce que le cauchemar est bien réel. J’ai souffert de mots de grossesse, de post-partum alors que tu n’étais plus là.
Je compte les jours depuis ta naissance, et le peu temps qu’il nous restait avant la date du terme, en janvier. D’ici quelques petits jours, nous aurions dû t’accueillir. Je n’oublierai jamais tes petits coups, ton doux visage endormi, le manque que je ressens depuis le 2 octobre 19h06.
Bon voyage mon ange. Un jour, on se retrouvera. Maman